Je sais pas quoi dire. Ma vie d'adulte se précise de plus en plus et c'est super excitant. Je sais avec qui je vais me marier et plus ou moins quand ; je sais quel master faire ; je sais à peu près à quels métiers ça pourrait me mener (dans la promotion de la culture de l'UE). Je ne me perds plus, ça fait du bien. Il y a des choses qui ne bougeront jamais, comme la bague que je porte à l'annulaire gauche et qui sera un jour sous un anneau. Ca me rend moins tolérante et moins patiente j'ai l'impression, les gens que j'écoutais autrefois pour leur faire plaisir mais qui me saoulaient n'ont plus la même place dans ma vie. "Faut que je te parle d'un truc, t'as du temps là ?"  "Non.". Non je n'ai plus le temps d'essayer de trouver les mots face à quelqu'un qui sait pas quoi faire pour cacher son adultère, ou ce genre de truc. Et puis de mon côté je n'ai plus le temps d'être malheureuse, je l'ai été assez longtemps comme ça, j'ai fait assez de conneries pour m'étourdir et oublier que j'allais pas bien, finalement je savoure la paisibilité. Je vais toujours et je ne cesserai jamais d'aller prendre des verres avec mes copains gays, d'abuser du vin avec ma meilleure amie et de fumer des clopes avec une dose de Martini blanc chez Guetta (ami proche surnommé ainsi en raison de sa ressemblance avec le David du nom, plaignons-le). Sauf que maintenant je fais et ferai tout ça avec cette fameuse bague qui symbolise tant. Tout va bien.

Bon en fait il n'est plus seulement un ami, hein. Et il me fait ce genre ce cadeau trop romantique : tiens chérie je t'ai scanné mes schémas de révision pour notre oral de civilisation américaine. Il m'a dit je t'aime alors qu'il ne m'avait même pas touché les seins pour l'instant, et qu'avant moi il ne l'avait dit qu'à sa maman quand il était petit (et aussi à une connasse, mais il m'a affirmé que ça s'était annulé parce que justement, c'est une connasse). Quand il rentre le soir il trouve ça relou que je ne sois plus près de lui. Nos amis trouvent que nos caractères sont opposés mais que l'on va tout de même très bien ensemble. Il va passer six mois aux Etats-Unis et je me demande comment je vais faire sans lui. Il a des yeux verts très doux et une petite barbe de trois jours très douce aussi. En talons je dois quand même me mettre deux marches d'escalier au-dessus de lui pour atteindre sa bouche sans problème. Il est très grand et taillé en V mais parfois il pose sa tête sur mes genoux, ferme les yeux, prend ma main pour la poser sur sa joue et là j'ai l'impression que c'est moi qui le protège. Je pensais qu'il mettait du parfum mais non, c'est son odeur naturelle qui sent bon. Il ne boit pas ne fume pas et fait du sport, mais ne veut pas m'empêcher de boire un coup et fumer en soirée. Il est persuadé que tous les hommes de la planète sont amoureux de moi, mais ça ne le rend pas jaloux. J'aimerais l'épouser juste pour porter son nom, il a un nom de famille génial, un nom de famille de philosophe romancier dramaturge etc existentialiste, et même que son prénom, c'est l'une des deux parties du prénom composé du philosophe. Rien que pour ça, il n'est pas comme les autres. On se laisse porter par nos sentiments, et ils vont très vite, mais ça ne pose pas problème. Il me rend heureuse.

Tout va bien. Sérieusement, tout va bien. Les moments où l'on ressent le plus la vie sont peut-être ceux de souffrance, tu as mal et tu y penses, ta douleur est permanente et te ramène à ta condition humaine, d'être là sur Terre et de devoir faire avec. Depuis quelques jours pas besoin de passer par là : la vie se fait ressentir doucement, par des événements minimes et paisibles. Des gens. L'humanité à grande échelle ne m'inspire pas grande confiance mais j'aime les humains que j'ai choisis pour m'entourer.
Et puis il y a cette amitié toute tendre, un grand réconfort, une bonne couche de baume au coeur. Oh pas seulement une consolation (je ne ressens plus le besoin d'être consolée), juste : il est là et c'est tant mieux. Jamais je n'aurais cru ça au tout début de l'année, vous savez les idées reçues persistent, et puis des échos les renforcent. Il est major de promo, il ne sort jamais, passe son temps le nez dans ses cours et ses bouquins. Certes il est major de promo, refuse d'aller aux grosses soirées, passe beaucoup de temps le nez dans ses cours et ses bouquins. Mais si tu creuses un peu, tu apprends qu'il se considère plus manuel qu'intellectuel et qu'il a passé pas mal de temps à faire des travaux à la campagne ; qu'il a son permis bateau parce qu'on sait jamais, ça peut toujours servir ; qu'il n'est pas insensible, au contraire, la carapace comme on dit. Et puis surtout c'est sa main qui a serré très fort la mienne avant mon exposé, et c'est sa bouche et ses yeux qui m'ont souri depuis le premier rang quand j'étais sur le point de parler. Avant de me dire au revoir ce sont ses bras qui me serrent contre sa poitrine (debout, mon oreille se situe juste au niveau de son coeur alors parfois je l'écoute battre et je me dis que j'aime bien ce son, tant pis si ça fait nunuche), longtemps. La première fois ça lui a fait bizarre parce qu'il ne fait jamais de câlin, à personne. Au moment de me dire au revoir, c'est lui qui me fait un énorme bisou. C'est le même qui me dit bonne nuit tous les soirs parce qu'il sait que depuis ma rupture j'ai du mal à m'endormir, le même qui m'a écoutée et conseillée, supportée. Avec son air bourru et sa carrure il me fait penser à un bucheron, et donc nous à une pièce que j'ai jouée pendant deux semaines, sur une gamine qui apprivoise un bucheron solitaire et le convainc d'abattre son dernier arbre pour lui sauver la vie. En grattant un peu, il arrive de tomber sur des trésors.

C'est une décision prise en s'appuyant sur la raison. Tout ici est rationnel on ne laisse pas de place au hasard, au peut-être, au on verra, nous sommes des gens avec les pieds sur terre nous voulons des solutions concrètes aux problèmes concrets.

Hypothèses :
1/ A aime B, qui aime A.
2/ Quand A et B se parlent, ils trouvent de moins en moins de choses à se dire.
3/ A et B se connaissent sur le bout des doigts notamment depuis une conversation où A a confié à B son égocentrisme au sein du couple, dû à son besoin insatiable de reconnaissance et d'amour. B a déclaré avoir ce même défaut caché de besoin d'attention de son côté dû à d'autres blessures, et ne pas savoir si ces révélations leur permettraient de poursuivre.
4/ A et B évoluent sur un terrain peu favorable à l'épanouissement de leur relation.

Par une démonstration organisée, B a prouvé à A qu'ils n'étaient certainement plus amoureux, ce qui n'annule pas la première hypothèse. Une histoire de tendresse, tout ça. Après un étrange soulagement, A n'y a pas cru. Puis a fait en sorte de changer la conclusion, en vain. 

Je n'ose pas dire "S'il te plaît, aide-moi".

Des pensées pas naturelles. Le tic tac de l'horloge de la cuisine. C'est juste un tic tac, il accompagne pendant le petit-déjeuner, tu bois ton café et tu écoutes le tic tac parce que ce qui passe à la radio ne t'intéresse pas. Allumer une cigarette. La première de la journée, qui fait un peu tourner la tête, là elle a tout fait voir en blanc et puis a donné des fourmis dans les jambes, seul le tic tac subsistait de la perception habituelle du monde. Perception et interprétation : tu viens à peine de te réveiller tout tourne un peu tout est blanc ça fourmille et le tic tac que tu perçois encore tu l'interprètes depuis ton malaise. Le temps qui passe. Une seconde de plus, une seconde de plus, une seconde de plus, une seconde de plus. Ca fait peur. 
Alors j'ai eu envie de lui en parler et finalement, à quoi bon ? "Chéri, ce matin j'ai eu peur du temps qui passe, le tic tac de l'horloge résonnait fort dans ma tête, je me suis demandé où il m'emmenait et j'ai rouvert les yeux avant de pouvoir imaginer une réponse". Qu'est-ce que tu veux répondre à ça. J'aimerais juste savoir, pour commencer, si ce que je ressens lui fait ressentir des émotions aussi. Ma longueur d'onde n'est pas très accessible. Est-ce qu'elle l'intéresse au moins ?